Des traditionnels débats sur la liste des 23, le plus animé a
concerné Yoann Gourcuff, de sa présélection à sa non-sélection. Le
paradoxe est que, bien que largement considérée comme peu légitime, la
première laissait supposer qu'il serait retenu, et que la seconde a
surpris même ceux qui la prônaient. Partisans et opposants peuvent en
effet se poser la question: pourquoi l'avoir emmené à Clairefontaine si
c'était pour lui infliger le désaveu d'une éviction? Les premiers
estimeront que lorsque l'on fait un pari, on ne se désavoue pas si vite
en donnant l'impression de céder à la vox populi, et que si l'on
apprécie un joueur, on ne lui inflige pas pareille humiliation. À leur
sens, le match contre l'Islande, première rencontre préparatoire
disputée dans une configuration tactique expérimentale, ne pouvait
décemment pas faire figure de test pour lui – sauf à vouloir en faire,
le concernant, un prétexte pour une éviction rapide. La vérité est qu'à
Valenciennes, Gourcuff n'a été ni très bon ni très mauvais, ayant
surtout démontré qu'il était au point physiquement, ce qui aurait au
moins justifié la poursuite du pari.
Pour les autres, c'est la présence du joueur dans la liste de 26 qui
est perçue comme une aberration: le relatif retour en forme du Lyonnais
en fin de saison ne le rendait pas éligible – par plus que ses états de
service lors de la saison précédente, avec une contribution
significative à la qualification, et encore moins le souvenir de ses
grandes heures bordelaises.
LE SECRET DES CHOIX
Pour dépasser cette controverse, on peut considérer que ni l'une ni
l'autre des deux décisions de Laurent Blanc n'était absurde.
Contrairement à l'idée commune, on ne compose pas une liste au "mérite"
selon des critères uniques et transparents (lire "Du Blanc dans la liste"),
et le sélectionneur pouvait raisonnablement miser sur le retour d'un
joueur qu'il apprécie pour l'avoir dirigé avec les Girondins, selon un
choix aussi humain que technique. En outre, dans un effectif de milieux
de terrain partagé assez nettement entre les récupérateurs-relayeurs et
les techniciens à vocation offensive, Gourcuff offrait un profil
intéressant, avec la capacité de réguler le jeu mais aussi de jouer en
première intention pour lui donner du liant. Quant aux raisons d'y
renoncer finalement, elles ont pu tenir des observations des
entraînements et de la vie du groupe, de la réorientation des choix
tactiques ou d'une conviction plus intime... Il n'est même pas
inimaginable que le sélectionneur ait dès le départ prévenu le joueur de
ses faibles chances de disputer l'Euro.
L'expérience est cruelle, mais Yoann Gourcuff n'ignore pas de quoi
est faite la vie des footballeurs de haut niveau – peut-être même le
sait-il trop bien. Leurs carrières, en particulier celle des espoirs les
plus doués, ménagent un suspens particulier, tous les scénarios étant
envisageables, toutes les trajectoires réversibles (lire "Ben Arfa, footballeur inachevé").
Il faut rappeler qu'au sein du trio millésimé 1987 et composé de Nasri,
Ben Arfa et Benzema, chacun a connu le même cycle état de
grâce-disgrâce-retour en grâce. C'est-à-dire qu'ils ont été
successivement présentés comme le futur des Bleus, puis comme des
espoirs en perdition accusés de nombreux travers, enfin comme des
joueurs ayant reconquis leur légitimité d'internationaux – au point
d'être, eux, peu discutés aujourd'hui. Gourcuff semble bloqué entre le
deuxième et le troisième stade, et à bientôt vingt-six ans, il laisse
peser le doute sur ses ressources pour surmonter cette épreuve très
classique chez les footballeurs de haut niveau.
INADAPTÉ ?
Après avoir suscité une rare unanimité il y a trois saisons (faut-il
le rappeler?), Gourcuff appartient désormais à cette catégorie de
joueurs qui suscitent les sifflets, voire le rejet, pour des raisons
embrouillées. Il n'est évidemment pas le premier: avant lui, en ne
citant qu'eux, les sélections de Christophe Dugarry, Christian Karembeu,
Franck Lebœuf ou Djibril Cissé avaient été controversées. En général,
il faut réunir au moins deux facteurs pour cristalliser le ressentiment:
avant tout un niveau contesté, mais aussi une personnalité perçue
négativement (pour cause d'exubérance, de prétention, de désinvolture,
etc.). Étrangement, c'est son caractère jugé trop lisse et insaisissable
qui porte préjudice à Yoann Gourcuff, auquel on fait surtout le procès
de sa différence. Au point qu'on n'a rien trouvé de mieux que de
l'expliquer par (la rumeur de) son homosexualité.
Bien qu'il n'ait absolument pas le même goût pour la provocation,
c'est de Vikash Dhorasoo qu'il faudrait le rapprocher, tous deux étant
labellisés comme des "intellectuels". Gourcuff détonne en effet par son
discours maîtrisé et sa capacité d'analyse des rencontres, et surtout,
apparemment, par un mode de vie significativement éloigné des us du
milieu. Ce type de profil a le malheur d'irriter aussi bien les
coéquipiers qu'une large part des journalistes spécialisés, et le numéro
8 lyonnais est à ce point enfermé dans le carcan de son image que tous
ses faits et gestes sont interprétés à cette aune, y compris des choses
aussi dérisoires que son habitude de s'échauffer seul. Mais avec le
sentiment récurrent que ses coéquipiers, pour parler contemporain, ne le
calculent pas plus sur le terrain qu'en dehors, son inadaptation
présumée à la vie sociale des footballeurs semble le poursuivre jusque
dans le jeu.
Le dossier étant sur le point de se refermer, on revendiquera, à
titre personnel, de vrais regrets: non pas que le sélectionneur n'ait
pas parié plus longtemps sur Yoann Gourcuff, mais simplement que ce
dernier ne soit pas à son meilleur niveau, épanoui en club et donc
indiscutable en sélection. Des regrets vifs, car il a montré à Bordeaux
et en équipe de France des qualités exceptionnelles, dont on peine à
croire qu'elles aient définitivement disparu. L'équipe de France n'a eu
de belles heures qu'avec des meneurs de grande classe, suivant la lignée
Kopa-Platini-Zidane, détenteurs d'une certaine intelligence de jeu,
capables de lire ce dernier et de mettre leur qualité technique au
service de la bonne passe, du geste juste dans le tempo idéal. Des
numéros 10 élégants et décisifs dont le talent travaille pour l'équipe.
On n'a pas seulement entraperçu un joueur de ce genre en Yoann Gourcuff,
on l'a bel et bien vu évoluer durant une saison et demie, avant qu'il
ne disparaisse. L'Euro 2012 ne sera pas le moment de son retour, ainsi
soit-il. L'espoir est permis que ce moment arrive quand même.
De tout les articles que j'ai lu c'est celui là que j'aime le plus parce qu'il explique "le cas Gourcuff" de façon non seulement magistrale (c'est très bien écrit) et juste.
RépondreSupprimerJe ressens la même chose cette espèce de frustration-peine quand je regarde ce joueur. Frustration car je sais tout ce dont il est capable et peine parce qu'il est à la fois victime de malchances et de nuisances. Il aurait pu faire un bel euro, il aurait pu, si seulement, si seulement...ça fait deux ans que l'on ressort le même refrain.
"Ce type de profil a le malheur d'irriter aussi bien les coéquipiers qu'une large part des journalistes spécialisés, et le numéro 8 lyonnais est à ce point enfermé dans le carcan de son image que tous ses faits et gestes sont interprétés à cette aune, y compris des choses aussi dérisoires que son habitude de s'échauffer seul."
Tellement vrai, on a même vu certains affirmer que ses blessures étaient simulées, critiquer sa façon de mettre son short, ses chaussettes...
"Le dossier étant sur le point de se refermer, on revendiquera, à titre personnel, de vrais regrets: non pas que le sélectionneur n'ait pas parié plus longtemps sur Yoann Gourcuff, mais simplement que ce dernier ne soit pas à son meilleur niveau, épanoui en club et donc indiscutable en sélection."
Ce que je lui souhaite c'est ça, on se fout et je crois que lui aussi, qu'il soit le meilleur joueur du monde, le plus beau, le plus riche. Ce que l'on veut tous c'est qu'il soit enfin heureux dans un club, qu'il s'éclate et si cela doit se faire dans un petit club très bien. Je vais ressortir mon refrain habituel, ça se fera loin de Lyon ça c'est une certitude. Refaire une année, persister c'est encore plus plonger!
L.