Yoann Gourcuff, comme une évidence. Pour tout ce qu’il représente ou représentera demain. Parce qu’il replace le jeu au centre du débat. Comme son père, Christian. Le meilleur footballeur français de la saison passée, qui a décidé de continuer l’aventure avec Bordeaux, n’aime pas trop parler de lui. Mais il aime parler de football, donc de plaisir, d’échange et de partage…
Q : 2008-09 a été votre saison? dans quel état d’esprit vous trouvez-vous alors que la suivante vient de débuter ?
R : Je suis très positif. Je garde les mêmes objectifs, ceux qui ont toujours été les miens : prendre du plaisir sur le terrain, bien jouer et essayer de bien faire jouer mes coéquipiers. Ce qui demande un bon état d’esprit à l’intérieur du groupe. C’est tout.Q : Que des choses simples…
R : Des choses vraies ! Si je peux être décisif, si je peux apporter un plus à l’équipe, ce sera du bonus. Mais ce n’est pas tou jours possible .Je tente donc de garder et de m’appuyer sur certaines bases, aussi bien dans le jeu que dans la vie du groupe.
Si nous pouvons, tous ensemble, gagner, partager notre plaisir avec les spectateurs, ce sera encore mieux. À titre personnel, je sais que le plaisir me permet d’être réellement performant, je ne vois donc pas pourquoi je modifierai mon approche du football, même si c’est devenu, depuis quelques années, mon métier.
Q : Cela suppose d’être resté le même Yoann Gourcuff, malgré le succès…
R : Complètement. Ce sont les gens qui parlent de moi différemment, peut-être. Moi, je ne suis pas du genre à me répandre, je suis d’une nature plutôt discrète. C’est sur le terrain, et nulle part ailleurs, que les choses se prouvent. Le reste n’est pas de mon ressort, je ne peux pas contrôler ce que l’on dit ou écrit sur moi. C’est un peu tout et n’importe quoi, d’ailleurs… Q : Justement, n’est-il pas plus difficile, face à cette médiatisation galopante, de continuer comme avant ?
R : Ça ne change rien à ma vie. Il suffit d’être vigilant, de ne passe disperser, de ne pas tout accepter. La tentation est là, mais le métier de footballeur est aussi fait de rigueur, d’exigence. J’essaie de profiter au maximum de ma situation comme j’essaie, sur le terrain, de profiter de mes coéquipiers pour continuer à avancer.
Q : Mais le foot, aujourd’hui, ce n’est plus seulement le jeu…
R : Même si certaines choses sont interdites à un sportif de haut niveau, je me comporte, dans la vie, comme le jeune homme de 23 ans que je suis. Je ne regrette pas les petits sacrifices qui me sont imposés par mon métier de footballeur ; ils font partie de mon quotidien. Je cherche, dans la mesure du possible, à prendre de la distance avec le monde du football. Cela me permet d’arriver chaque jour à l’entraînement ou d’aborder les matches avec une motivation intacte. Rester focalisé sur le football
serait dangereux, car les saisons sont longues. La lassitude peut s’installer et nuire alors à la motivation. Il faut donc s’aérer l’esprit dès que possible, c’est important. Même si j’agis en fonction, même si, à Bordeaux, Laurent Blanc en a conscience et nous donne des jours de repos pour que nous
puissions faire des choses aussi simples que de rester en famille, j’ai été, la saison dernière, confronté à ce phénomène de lassitude. On joue, on s’entraîne tellement…
Q : Le star système vous est tombé dessus, la saison dernière. Y étiez-vous préparé ?
R : Non. En attaquant la saison à Bordeaux, il y a un an, j’avais juste envie d’être sur le terrain.
Le premier objectif était donc de réussir mon intégration au sein du groupe pour pouvoir avoir du temps de jeu. Je ne pensais peut-être pas que ça se passerait aussi bien.
Q : Vous aviez fini par douter de vous, à Milan ?
R : Par rapport à ce que j’espérais, en termes d’intégration,de temps de jeu, la première saison s’est très bien passée,d’autant que j’avais le sentiment de réellement progresser. Du coup, j’avais évalué mes objectifs sur ces bases-là, et il est certain que la seconde saison n’a pas répondu à mon attente. Je n’ai pas eu de continuité dans ma progression. Ce n’était pas évident à gérer. Je me suis posé beaucoup de questions, c’est vrai.Dans le même temps, j’ai forcément évolué, j’ai beaucoup appris de ce métier.
J’ai gagné en maturité, en expérience…
Q : Ceux qui avaient prétendu que le Milan ac, c’était trop gros, trop tôt pour vous…
R : (Il coupe.) Mais les gens disent ce qu’ils veulent, ce n’est pas mon problème ! Si je m’arrête sur tout ce que l’on raconte sur moi, je ne peux plus vivre. Sérieusement, je m’en moque et je me sens
très bien comme ça. D’ailleurs, je ne pourrai pas agir autrement. --------------------------Q : C’est la rançon de la gloire, même naissante. sur le terrain, vous êtes sur le devant de la scène…
R : Non, encore une fois. Ce sont les gens, les médias qui prétendent cela. Moi, je suis un élément
dans un groupe. Un joueur dans une équipe. Le reste…
Q : Le star système est en contradiction avec votre éducation…
R : Moi, je ne m’occupe et ne me préoccupe que du terrain. La vérité est là. C’est la base, c’est la finalité . Et ce n’est pas le plus facile, car cela nécessite beaucoup d’investissements personnels,beaucoup d’efforts collectifs
Q : Ce refus du star système, c’est la peur de ne plus s’appartenir, demain. d’être prisonnier de l’image que les autres donnent de vous ?
R : Je fais la part des choses. J’essaie de maîtriser le plus possible, sans néanmoins faire de fixation Lorsque je donne une interview, je suis et reste moi-même. Je suis le plus honnête possible
Au-delà, .ce n’est plus mon affaire. « Je cherche, dans la mesure du possible, à prendre de la distance avec le monde,du football. » ----------------------------- ---Q : Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous : que vous êtes un beau ou un bon joueur ?
R : Je laisse dire. Je n’aime pas trop parler de moi.
Q : Reconnaissez tout de même que vous êtes un peu atypique. vous êtes le milieu offensif qui récupère, certainement, le plus de ballons dans les pieds de l'adversaire . -----------------------------R : Je suis généreux dans l’effort, j’ai besoin de donner le maximum, j’ai besoin de faire ressentir à mes coéquipiers que je suis bien présent, que je donne tout, que ce soit dans les phases offensives ou défensives. Je suis, je le répète, un élément du groupe. Cela a toujours fait partie de mon jeu. Sur un terrain, on a besoin de tout le monde. Les efforts que je consens pour les autres, ils me les rendront d’une façon ou d’une autre, lorsqu’à mon tour, j’aurai besoin de l’aide d’un de mes coéquipiers. Le foot c'est une question d'échange, de partage aussi.
Q : Cette générosité dans l’effort c’est aux italiens que vous la devez ?
R : J’ai toujours été comme ça. Mais je dois reconnaître que, depuis mon passage à Milan
je calcule mieux mes efforts. Je suis, disons, plus intelligent dans mes déplacements que je ne l’étais auparavant.
je calcule mieux mes efforts. Je suis, disons, plus intelligent dans mes déplacements que je ne l’étais auparavant.
Q : Il n’empêche, au regard des efforts consentis la saison dernière, que vous avez dû finir sur les rotules
R : Pas le moins du monde. Physiquement, il n’y avait pas de problème. La fatigue était mentale, la pression est allée crescendo et, jusqu’au bout, elle a pesé sur nous, puisque nous n’avons été sacrés champions qu’à l’issue de la dernière journée. Mais c'était tellement excitant, tellement fabuleux pour nous et pour le football français, que nous avons réussi à passer outre. Q : Plus facile à dire qu’à faire, non ?
R : Heureusement, j’y reviens, il reste le plaisir. C’est sûr que si l’on ne prend pas de plaisir sur le terrain les choses deviennent beaucoup plus difficiles à supporter. C’est ce qui doit primer sur tous les enjeux, c’est ce qui nous permet de les oublier, à condition, évidemment, d’être efficaces dans le même temps.
Q : Oublier les enjeux, ne penser qu’au jeu, c’est encore possible aujourd’hui ?
R : Sur le terrain, c’est le jeu, c’est le plaisir qui doivent primer. Du même coup, on arrive à positiver la pression, qui, de toutes les façons, pèse sur nous. Tout devient alors plus facile.
Q : La fin de la saison, la quête du titre et, dans le même temps, les négociations autour de votre transfert définitif à bordeaux : il vous a fallu être solide psychologiquement…
R : C’était une période pleine, heureusement. Il y avait beaucoup de matches, donc je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser des questions. De surcroît, j’ai beaucoup de mal à me projeter. Savoir où je jouerai n’était donc pas une priorité.
Q : Vous faisiez le vide pour éviter que cela puisse nuire à vos performances.
R : Je n’avais pas le choix. La répétition des matches, ce n’était pas plus mal. Cela m’a permis de rester concentré sur le jeu, sur la performance. Je n’ai pas perdu l’énergie nécessaire à la conduite
d’une rencontre, je n’ai pas été le moins du monde perturbé…
Q : ce n’est pas évident d’avoir le recul nécessaire. À votre place, beaucoup en auraient certainement
souffert.
R : Il est difficile de comparer une situation à une autre, un footballeur à un autre. Et puis, moi, j’ai la chance d’avoir un père qui est dans le métier.
Q : vous n’avez donc pas besoin d’un agent, ce qui fait de vous, à ce niveau également, un joueur
atypique, par les temps qui courent.
R : J’ai un avocat. Mon père connaît très bien le football, Didier (Poulmaire, son avocat, Ndlr) est compétent dans d’autres domaines. C’est une question de complémentarité, d’équilibre entre les rôles de chacun. Le rôle de mon père, celui de mon avocat, le mien et celui de ma mère qu’il ne faut pas oublier. C’est d’ailleurs elle qui a contacté Didier. On forme une équipe…
Q : Comment ont évolué les rapports avec votre père, ancien joueur devenu entraîneur, aujourd’hui à
lorient ?
R : On parle beaucoup, on partage. Plus que quand j’étais jeune, c’est sûr. Le football n’était pas encore mon métier, et je ne pensais pas que ça le deviendrait un jour. Mon père savait que ce n’était
qu’un loisir, un moyen de partager des bons moments avec mes potes. Il n’y avait pas la moindre notion de travail, d’effort chez moi, et mon père, forcément, était en retrait par rapport à cela. Il me laissait faire.
Q : Mais avec sa parfaite connaissance du football, il devait déjà savoir que, derrière l’adolescent,
se cachait un futur pro.
R : Oui, mais il ne me l’a jamais dit, il me laissait m’amuser. Peut-être par pudeur. Pour ne pas me mettre mal à l’aise. C’était comme ça avec le foot, comme dans beaucoup d’autres domaines… Nous ne sommes pas du genre expressif dans la famille .Il y a gens qui s’enflamment, qui disent que
c’est exceptionnel, juste pour dire que c’est bien. Mon père, lui, ne me dit pas forcément les choses,
mais, à l’intonation de sa voix, je comprends parfaitement ce qu’il veut me dire. Et lui sait que j’ai compris le message.
Q : Vous avez la même idée du football ?
R : Je le pense. À quelques détails près. Nous sommes des passionnés, c’est déjà un point important. Ce qui nous intéresse, l’un et l’autre, c’est le jeu, c’est ce qui se passe sur le terrain. Ce ne sont pas les paroles, ce n’est pas tout ce qui tourne autour du foot actuellement. Nous laissons ça à d’autres.
Q : Mais encore une fois, lui comme vous, ne pouvez y échapper. vous êtes à l’intérieur du système.
R : Mais nous arrivons à rester nous-mêmes, à continuer sur la même voie. Je ne sais pas à quoi cela est dû, ça se fait naturellement .En ce qui me concerne, c’est certainement une question d'éducation, mais j’ai du mal à expliquer pourquoi je ne suis intéressé que par le football, que par le jeu. Le reste existe, je le sais, j’y suis confronté au quotidien, mais ce n’est pas ce que je recherche, ce qui m’intéresse. Il faut conserver les bases. Quoi qu’il en soit, à l’arrivée, nous ne sommes jugés qu’à travers ce que nous faisons sur le terrain, pas sur notre impact médiatique ou je ne sais quoi.
Q : C’est ce que vous croyez ?
R : C’est ce que je pense, c’est ce que j’espère.
Q : Est-ce que vous aimez que l’on dise que vous êtes le fils de votre père ?
R : C’est la réalité.
Q : Mais, au-delà, pour tout ce que votre père représente dans le football professionnel français…
R : Le fils de mon père, ça me va très bien. Je suis très fier de lui. Fier, dans un milieu difficile, de sa mentalité, de sa discrétion. Je trouve qu’il manque de reconnaissance au regard de tout ce qu’il a fait. Je sais, toutefois, qu’au quotidien, ce n’est pas le plus grand communicant de la planète, y compris avec ses joueurs, mais c’est quelqu’un de vrai, qui a des idées et qui les garde, même si elles vont à contre-courant des autres, même si elles peuvent le desservir parfois.
Q : Vous vous êtes déjà disputés à propos du foot ?
R : Sur le foot, non. Il arrive, mais très rarement car nous avons la même vision du jeu et du football, que nous ne soyons pas d’accord, mais, en règle générale, nous ressentons les mêmes choses.
Q : Vous discutez souvent, encore aujourd’hui ?
R : Après chaque match. Il les regarde tous, ou presque, et nous en parlons. Bien sûr, la télé donne une vision différente de la réalité, mais ça ne nous empêche pas, systématiquement, d’échanger. Je suis très attentif à tout ce qu’il me dit.
Q : Vous disiez avoir du mal à vous projeter ; est-ce à dire que vous ne vous fixez pas d’objectif ? Q : Vous discutez souvent, encore aujourd’hui ?
R : Après chaque match. Il les regarde tous, ou presque, et nous en parlons. Bien sûr, la télé donne une vision différente de la réalité, mais ça ne nous empêche pas, systématiquement, d’échanger. Je suis très attentif à tout ce qu’il me dit.
R : Je les prends quand et comme ils arrivent.
Q : la coupe du monde, par exemple ?
R : C’est loin. Cela ne me servirait à rien de commencer à y penser maintenant, d’autant que nous n’avons pas toutes les données, à commencer par la qualification. Bien sûr que j’espère que l’équipe de
France se qualifiera, mais pensons d’abord au prochain match. Et ainsi de suite. Je fonctionne de la sorte, ce n’est pas dans ma nature d’anticiper.
Q : Sauf sur le terrain.
R : J’essaie pour le reste, et j’y arrive, parfois. Mais, je vis l’instant présent.
Q : À regarder vos premiers matches avec l’équipe de france, on a eu le sentiment que vous étiez chez vous, que vous aviez toujours été là.
R : Je suis arrivé dans un contexte particulier, pourtant. C’était juste après la défaite en Autriche, qui faisait suite à l’Euro 2008. Tout le monde était contre nous, tout le monde en voulait beaucoup au
sélectionneur. Je n’avais jamais connu ce genre de climat, vraiment particulier, difficile à décrire à qui ne l’a pas vécu. Ça m’a donné beaucoup d’énergie, une énergie paradoxalement positive. Une fois encore,je me suis servi de toute cette pression pour être, lorsque l’on m’a donné ma chance, le plus
performant possible en aidant mes coéquipiers.
Q : Même si vous n’aimez pas parler de vous, on ne peut pas ne pas évoquer votre aisance technique,
que certains considèrent comme un don…
R : C’est beaucoup de travail, au contraire. Plus jeune, au centre, je n’ai jamais considéré comme une
corvée les exercices que l’on nous imposait. J’adorais ça ! C’étaient des trucs assez simples, des contrôles, des passes, les gammes quoi, mais je prenais réellement du plaisir à répéter ces gestes-là, avec toutes les surfaces de pied. C’est là que j’ai compris l’importance du physique dans mon jeu.
Si je suis fatigué, je n’ai pas la même aisance technique, pas la même facilité à manier le ballon…
interessante cette interwiew même si elle date de 2009 !
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